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27 mars 2005

HELENE GRIMAUD, UN ANGE AVEC LES LOUPS

Le piano la sauva de ses obsessions, ses loups la protègent des requins du show-biz. Rencontre avec une virtuose stupéfiante.

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Dans le monde de la musique, Hélène Grimaud est une figure à part, aimée du grand public et saluée par la critique en France comme à l’étranger. Personnalité envoûtante, à la fois farouche et modeste, passionnée et douée de qualités d’interprète exceptionnelles, elle mène sa carrière selon des exigences très personnelles : son besoin de la nature, son amour des loups et une prédilection pour les compositeurs romantiques.

Reçue première à l’unanimité à l’âge de treize ans au conservatoire de Paris, grand prix de l’Académie du disque à l’âge de quinze ans, Hélène Grimaud symbolise l’enfant prodige qui se double d’une enfant terrible: ses relations passionnées avec la musique, les concours, la compétition, mais aussi sa rupture avec le monde parisien, son exil aux États-Unis à l’âge de vingt ans, sa nouvelle vie faite d’un temps de doutes et de désespoir puis sa renaissance, grâce à sa rencontre avec les loups et sa volonté de les défendre.

Dans son livre Variations sauvages Hélène Grimaud raconte son parcours, elle donne aussi pour la première fois la clef de son univers intérieur, sa relation si particulière aux mystères propres à la musique et aux loups, qui ont fait d’elle un icône de la grâce au charisme incontesté, un symbole du génie européen.

En plus de son récit d’une enfance turbulente, on trouve des réflexions sur Brahms ou Dostoïevski, l’évocation de villes et de paysages aimés, ainsi qu’une description détaillée de ses loups, à la fois objet d’angoisse et de fascination, sa relation quotidienne avec eux, les idées fausses mais encore mythes de toutes les traditions attachées à ces animaux sauvages qui enseignent d’abord à aimer la liberté, la nature, une vision philosophique et une célébration du romantisme, seul recours pour réenchanter le monde.

Née en 1969 à Aix-en-Provence, Hélène Grimaud a quinze ans quand elle édite son premier disque en 1985. Elle n’avait pas fait particulièrement parler d’elle au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, où elle était l’élève de Jacques Rouvier, après avoir été celle de Pierre Barbizet au Conservatoire de Marseille. Elle avait quinze ans et enregistrait la Seconde sonate, de Serge Rachmaninov, une œuvre qui nécessite des moyens pianistiques de premier ordre, une science du son, de l’agencement des plans sonores, une idée supérieure de la forme et un grand souffle pour tenir la distance.
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De cet examen de passage, Hélène Grimaud devait sortir victorieuse, surmontant toutes les difficultés, maniant un piano savamment échevelé, organisant cette grande forme cyclique de façon magistrale.
Hélène Grimaud a fait des rencontres hautement formatrices, fréquentant assidûment le Festival du violoniste lituanien Gidon Kremer, à Lockenhaus (Autriche), participé à de nombreux festivals et concerts dans le monde entier, joué avec les plus grands chefs et orchestres.

Elle vit aujourd’hui aux Etats-Unis en haut d’une colline du Connecticut. Par sa rusticité, sa maison tient plus du refuge intime que d’une villégiature luxueuse pour pianiste harassée par les applaudissements. « Le Confort ? » dit-elle en désignant le canapé, « ou inconfort ? » suggère-t-elle en se calant sur une spartiate chaise de bar, avant de s’esclaffer : « Moi, je choisis toujours le plus inconfortable ! »

Sa simplicité et sa franchise l’amènent à confier son regret d’avoir perdu ses racines : « Même si j’ai eu des parents formidables, chaleureux, ouverts à toutes les discussions, j’ai probablement perdu ce sentiment de provenance, de racines, au cours de ma formation. A 14 ans, j’envisageais déjà de partir pour de grands espaces. »

Pour faire décoller son imaginaire, Hélène Grimaud parcourt les steppes de la littérature russe.
«J’aime ces caractères tourmentés, ces psychologies tortueuses. Le prince Mychkine, surtout, dans L’Idiot, de Dostoïevski : grand, mal perçu par son entourage, capable de toutes les folies, mais se résignant aux choix les plus humains. Mon premier disque fut consacré à Rachmaninov car je tentais de retrouver en musique les sentiments soulevés par mes lectures. En 1986, j’ai présenté le concours Tchaïkovski, à Moscou, pour vérifier que les gens de la rue ressemblaient aux personnages de romans : excessifs, impulsifs, chaleureux, portant leur déséquilibre avec superbe, à fleur de peau. La réalité est presque plus belle que la fiction. »

Son premier disque, Rachmaninov, à 15 ans, lui offre une passerelle naturelle dans le circuit professionnel. La pianiste n’aime pas trop parler de cette période chahutée qui suit sa sortie de Conservatoire. Beauté radieuse, elle ne maîtrise pas alors vraiment son image et accepte malgré elle de poser pour des magazines dans des robes qui ne lui ressemblent pas. Des cornacs de tous bords l’aiguillonnent aussi jusqu’à l’écœurement pour qu’elle se spécialise dans Chopin, « qu’elle joue si bien ». Elle se débat pour interpréter Brahms, dont les remous sonores attirent cette Ophélie, Schumann pour son âpre désespoir, Beethoven pour cet appel prométhéen à se dépasser soi-même.

En 1991, après avoir hésité à s’établir dans cette Allemagne dont elle raffole la littérature, Hélène Grimaud prend du recul en Floride. Un regard change sa vie : celui d’une louve qu’un vétéran du Vietnam garde chez lui. Aujourd’hui encore elle ne peut mettre de mots sur cette rencontre, mais parle d’« une reconnaissance mutuelle ». Elle passe un diplôme afin d’obtenir l’autorisation d’élever des loups chez elle, et espère maintenant achever son doctorat d’éthologie.

Avec acharnement, la pianiste cherche un grand terrain, loin de toute habitation, mais proche d’un réseau de communication qui lui permettra de continuer d’exercer son métier. Les agents immobiliers du Connecticut lui proposent de somptueuses demeures. Elle opte pour une masure à retaper et quelques hectares de bois sans vis-à-vis. Là, derrière un double grillage, dans l’enclos même, louve parmi les loups, elle peut observer ses congénères en noircissant des cahiers entiers de notes. Hélène Grimaud parle d’une relation d’égalité avec ses loups.

Plus loin, elle s’agacera que les médias exploitent sa passion animale. Une fois encore, son image lui échappe. Hélène Grimaud s’enflamme alors pour justifier sa passion pour le seul prédateur rivalisant avec l’homme. Dans les sociétés anciennes, de Romulus et Remus à Gengis Khan, en passant par les tribus indiennes, le loup fut un modèle avant de devenir la face féroce de l’inconscient humain, à exterminer coûte que coûte. Les loups ont aidé la pianiste à se reconstruire en lui créant des obligations de présence. Elle ne s’absente jamais plus de dix jours et n’accepte donc pas n’importe quel concert. Elle puise une force nouvelle dans son contact viscéral avec la nature, qui relativise les faux-semblants de la vie d’artiste.

Hélène Grimaud affirme même que ses animaux l’ont réconciliée avec le genre humain, tant elle s’émerveille des classes d’enfants qui défilent chez elle, dénués de tout a priori. Entre piano et loup, elle ressurgit plus forte encore pour des concerts tout en énergie où chaque oeuvre, au lieu d’être noyée dans une opulence sonore envahissante, est cernée, condensée au plus profond de sa pulsation vitale. Elle offre ses doutes comme des certitudes, se livre et s’abandonne dans des tensions aiguës, rarement apaisées. Très physique, remuante, elle a conscience de parfois provoquer un malaise en concert. « Si je ne projette aucune charge émotionnelle, autant rester chez moi. »

Hélène Grimaud évolue doucement. Moins de concerts avec des oeuvres de longue haleine où personne, ni elle ni le public, ne peut décrocher en cours de route. C’est l’une des artistes les plus populaires en France pour la sensibilité de son jeu, sa spontanéité, sa grâce, sa capacité à communiquer avec le public, à capter l’attention dès qu’elle entre en scène.

Gageons qu’un jour prochain, après son retour en terre d’Europe, que nous souhaitons de tout notre cœur, nous puissions dire : « Heureux qui comme Hélène a fait un beau voyage … »

Xavier Daimerain

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