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nortasuna & askatasuna
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28 février 2005

HIER L INQUISITION, AUJOURD' HUI LA PENSEE UNIQUE...GIORDANO BRUNO LE PRECURSEUR

Giordano Bruno
(Nola 1548-Rome 1600)

   Sa fin sur le bûcher de l'inquisition romaine en fit un martyr de la libre pensée. Mais cela ne doit pas occulter la réalité d'un génie éclectique, philosophe audacieux, scientifique précurseur, prosateur original féru d'hermétisme et de mnémotechnique.

1- Frère Bruno dominicain (1548-1576)

Né en janvier 1548 à Nola, paisible bourgade proche de Naples, Filippo Bruno est fils de gentilshommes sans titre et aux revenus modestes. L'école la plus proche du village lui donne une instruction imprégnée d'humanisme et qui met l'accent sur les auteurs classiques, l'étude de la langue et de la grammaire latine. Cet enseignement le marquera tout autant que le pédantisme qui l'accompagne et le rebute. A 14 ans, il part pour Naples où il rejoint l'université publique. Parallèlement, des cours particuliers le mettent au coeur des débats philosophiques entre platoniciens et dristoliciens. Dès cette époque, il découvre la mnémotechnique, art de la mémoire alors en vogue et qui constituera rapidement l'une de ses disciplines favorites.

A cette première strate humaniste et philosophique vient se superposer une couche théologique déterminante. Le 15 juin 1565, Filippo rentre chez les Frères prêcheurs de San Domenico Maggiare. Ce choix semble motivé par le prestige de couvent dominicain(1) qui attribue des titres incontestés et réputés dans toute l'Italie. C'est aussi un précieux refuge en ces temps troublés par des disettes et des épidémies. Pendant dix ans, Bruno qui a adopté le prénom de Giordano en hommage à un de ses maître en métaphysique (Giordano Crispo) lie sa vie aux dominicains, digère une culture dogmatique et pluridisciplinaire (philosophie naturelle, dialectique, rhétorique, métaphysique...). Sa trajectoire parait conforme à la devise dominicaine d'une verba et exempla (par le verbe et par l'exemple).

Il devient prêtre en 1573. Lecteur en théologie en juillet 1575, il soutient avec succès une thèse sur certains aspects des pensées de Thomas d'Aquin et de Pierre Lombard(2). Pourtant, les indices d'une rupture qui va très vite arriver sont perceptibles. En réalité, Bruno dissimule un esprit rebelle au carcan théologique et qui a le goût du vagabondage vers les sentiers peu orthodoxes. Sa curiosité vorace ne cesse de croître et de gagner en éclectisme. Il se nourrit abondamment des oeuvres d'Érasme, humaniste considéré comme hérétique depuis 1559. Il affiche des goûts pour l'hermétisme, la magie et débute une passion pour la cosmologie détachée de l'approche théologique. Dès sa première année de noviciat, il avait été accusé de profanation du culte de Marie(3).

Il finit par se heurter à la hiérarchie sur les questions du dogme de la Trinité qu'il repousse. Une instruction est menée contre lui afin de le déclarer hérétique. Bruno devance la sentence : il abandonne le froc dominicain et fuit Naples en février 1576. Cette apostasie jette Bruno dans une vie aventureuse où la précarité matérielle se dispute à la brièveté des séjours.

2- Le chevalier errant du savoir (1576-1592)

Pendant quinze années, sa vie exprime un raccourci saisissant et métaphorique : les louvoiements du parcours d'une pensée ample et aux coudées franches. Aux sinuosités de son esprit répondent les errances multiples dans toute une partie de l'Europe.

  De 1576 à 1578, il cherche à se maintenir en Italie au prix de changements incessants imposés par sa condition d'apostat tout autant que par son originalité croissante. Gênes, Noli, Savone, Turin, Venise, Padoue, Brescio, Naples... Bruno vit difficilement de leçons de grammaire ou d'astronomie, parvient tout de même à faire publier à Venise un premier ouvrage dont il ne reste rien d'autre que le titre (Des signes des temps). Il finit par s'exiler, se rend à Chambery, puis à Genève où il espère rencontrer un havre de paix. L'antre calviniste le séduit temporairement : il est intégré dans la communauté évangélique italienne du marquis de Vico, le froc dominicain est définitivement abandonné, il assiste aux prédications, s'inscrit dans plusieurs académies... Finirait-il par se rallier à la cause calviniste ?

Le voilà de nouveau en conflit avec la hiérarchie dont il conteste la compétence d'un des membres. Le 6 août 1578, il est arrêté et excommunié. Deuxième exclusion d'une communauté religieuse !... Bruno n'en restera pas là. Il repart : Lyon, Toulouse... Cette ville sous le joug du dogmatisme catholique sévère le tolère pendant deux ans. Il réussit à enseigner la physique, la mathématique. Un ouvrage sur la mnémotechnique (Clavis Magna) le fait connaître d'Henri III. Le roi, épaté par les dispositions de sa mémoire abyssale, le convoque à Paris et se fait son protecteur. Bruno connaît alors une forme d'âge d'or. Cinq années exceptionnellement stables (jusqu'en 1583) le voient figurer parmi les philosophes attitrés de la cour. Il enseigne au Collège des lecteurs royaux (le Collège de France), s'adonne aux développements de sa pensée. Face aux tensions religieuses du moment, il adopte une position tolérante, renvoyant dos à dos les extrémismes des protestants et des ligueurs. En 1582, Le Chandelier, comédie satirique féroce à l'égare des mentalités de son temps, confirment son talent protéiforme et révèle un vrai style d'écrivain, original et vivant, lyrique et ironique, amoureux d'images frappantes, raffinées ou brutales.

   En avril 1583, muni d'une recommandation royale, Bruno se rend en Angleterre, à Londres puis à Oxford. L'accueil est hostile. Sa réputation est brillante, mais sulfureuse. Il ne la démentira pas : l'exposé de ses idées malmène l'opinion anglicane, essuie de nombreuses critiques, suscite des disputes passionnées. Déterminé à triompher, juché sur son orgueil de penseur qui connaît sa valeur et juge non sans morgue celle de ses contradicteurs, Bruno consacre deux années à répliquer par la plume. Deux années qui posent Bruno comme un philosophe, théologien et scientifique puissant, novateur, impertinent en diable. En 1584 paraissent La cène des cendres, La cause, le principe et l'un, De l'infini, l'univers et les mondes. Ces ouvrages exposent notamment une vision cosmographique sublime d'audace, révolutionnaire, quasi visionnaire. Il enfonce la vieille conception toujours régnante du géocentrisme(4), soutient la représentation copernicienne du monde... tout en la dépassant : l'univers est infini, peuplé d'une multiplicité de mondes analogues au nôtre. En concevant un monde ouvert, Bruno accomplit un saut dans l'Immensité. La force de la logique de son intuition en fait un précurseur de Kepler et de l'astronomie moderne. Mais Bruno reste ancré dans son époque, mêlant à ces fulgurances des credo hermétiques, magiques et animistes : la vie anime des planètes soucieuses d'exposer leurs faces au soleil, la matière possède une âme sensible et rationnelle...

En 1585, trois nouveaux ouvrages approfondissent et poursuivent ses audaces. L'expulsion de la bête triomphante règle au nom d'un activisme humaniste le compte des attitudes calvinistes et catholiques... La cabale du cheval de Pégase est un opuscule satirique qui démolit méthodiquement l'édifice aristotélicien, vénérable référence depuis de siècles. Enfin, Les fureurs héroïques entérinent l'idée d'un monde qui n'a plus de centre... et Dieu plus de lieu.

De retour à Paris, Bruno voit sa position se détériorer. Le roi ne peut plus guère se risquer à défendre un "hérétique" du savoir alors que les querelles religieuses se durcissent. Bruno est isolé par une sombre affaire qui l'oppose à Mordente, géomètre soutenu par les ligueurs, qui l'accuse de s'attribuer la paternité du compas différentiel. Un nouvel exil conduit le fougueux penseur en Allemagne. En juin 1586, l'université de Marbourg puis Wittenberg l'accueillent. Il se fixe pendant deux ans... le temps de heurter une nouvelle fois encore la hiérarchie ! A l'automne 1588, Giordano Bruno apprend son excommunication, proclamée cette fois-ci par le pasteur de l'église luthérienne ! Sa mise au ban rapide l'oblige à reprendre la route. Helmstadt, Francfort. Dans l'intervalle, sa production ne faiblit pas, tisonnée par le feu des polémiques et des errances successives. La "Trilogie de Francfort" témoigne de sa volonté d'ordonner sa pensée. De immenso réexamine les fondements de sa cosmographie. De monade mène une réflexion magique où le rapport organique entre les nombres et les figures géométriques est affirmée(5). De minimo esquisse de saisissants développements sur l'infiniment petit qui annoncent les réflexions à venir sur l'atome. Son dernier ouvrage, paru en 1591 (De la composition des images, des signes et des idées) expose un système mnémotechnique incroyablement sophistiqué.

A l'issue d'une énième expulsion, Bruno accepte en août 1591 l'invitation d'un patricien, Giovanni Mocenigo, de venir s'établir à Venise. Ce retour dans une Italie jetée dans le combat contre-réformiste est probablement motivé par l'espoir d'obtenir la chaire de mathématique de l'université de Padoue, vacante depuis 1588(6).

Mais Mocenigo attend de Bruno qu'il lui enseigne la mnémotechnique et l'art d'inventer. Vite déçu, Bruno veut repartir et froisse Mocenigo, déjà heurté par la vie peu orthodoxe du philosophe. Il le retient prisonnier puis le dénonce à l'inquisition, ne parvenant pas à le soumettre.

Le 23 mai 1592, Bruno est arrêté et emprisonné, à présent seul face au Saint-Office.

3- Procès d'un Apostat magnifique (1592-1600)

Le premier acte d'accusation se soucie surtout de ses positions théologiques considérées comme hérétiques : on évoque sa pensée antidogmatique, le rejet de la transsubstantiation et de la trinité, son blasphème contre le Christ, sa négation de la virginité de Marie... Mais ses activités philosophiques et scientifiques sont déjà relevées : sa pratique de l'art divinatoire, sa croyance en la métempsychose et surtout sa vision cosmologique sont mentionnées. Au fur et à mesure que le procès durera, l'acte d'accusation ne cessera d'enfler jusqu'à résumer la vie entière d'un esprit à la quête trop librement et orgueilleusement assumée.

Dans un premier temps, Bruno se défend habilement, jouant à l'occasion la comédie du repentir mais uniquement sur des "erreurs minimes". Mais son passé d'apostat le rattrape et Rome obtient son extradition. En 1593, dix nouveaux chefs d'accusation entraînent Bruno dans sept années d'un procès interminable ponctué par une vingtaine d'interrogatoires menés par le cardinal Bellarmin (7). On lui administre la torture. Il lui arrive de lâcher du lest, d'esquisser un geste de rétractation... avant de se reprendre. Désireux d'en finir, le pape Clément VIII somme une dernière fois Bruno de se soumettre. L'Entêté réplique : « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n'y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j'aurais à rétracter.(8)»

La situation est bloquée. Le 20 janvier 1600, Clément VIII ordonne au tribunal de l'Inquisition de prononcer son jugement. A la lecture de sa condamnation au bûcher, Bruno commente : « Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l'accepter ».

Le 17 février 1600, sur le bûcher installé sur le Campo Dei Fiori, Giordano Bruno a peut-être tourné son regard vers le ciel, ce ciel qu'il décrivait infini et multiple... désormais voilé par la fumée des flammes qui montent vers lui.

Des existences comme celle de Bruno paraissent chargées de sens aux yeux des vivants qui ont la tentation de se les approprier. Mais les épitaphes les meilleurs sont parfois rédigées par les morts eux-mêmes : « C'est donc vers l'air que je déploie mes ailes confiantes. Ne craignant nul obstacle, ni de cristal, ni de verre, je fends les cieux, et m'érige à l'infini. Et tandis que de ce globe je m'élève vers d'autres cieux et pénètre au-de-là par le champ éthéré, je laisse derrière moi ce que d'autres voient de loin.(9)»

(1) Ce couvent hébergea Saint Thomas d'Aquin. Des reliques et des manuscrits du grand penseur y étaient conservés à l'époque du passage de Bruno.
(2) Théologien italien
(3) Le jeune novice avait ôté des images saintes de sa chambre, notamment celles représentant Marie
(4) Pendant tout le moyen-âge, l'oeuvre de Ptolémée, L'Arlmageste, est la référence de la conception d'un monde où la Terre -centre du monde- ne se meut pas(5) Selon certains spécialistes du philosophe, Bruno a même l'intuition du tableau de Mendeleiev et de la structure de l'atome. Il décrivit un univers composé de nombre limité de lettres, entités élémentaires aux formes géométriques reliées à une substance qui les anime toutes
(6) Cette chaire fut finalement attribuée à... Galilée, future victime de l'Inquisition romaine trente-trois ans après Bruno
(7) Cette figure de l'Inquisition récidiva : il mena le grand procès qui fut fait à Galilée pour des écrits identiques à ceux de Bruno. Galilée se rétracta...
(8) Extrait de l'épître liminaire de L'infini, l'univers et les mondes

 

G. Bruno, par lui-même :

« Si vous connaissiez l'auteur, vous lui trouveriez un air égaré ; on dirait qu'il a toujours sous les yeux les supplices de l'enfer : on dirait qu'il a été foulé comme un bonnet de laine ; s'il rit, cet homme-là, c'est pour faire comme tout le monde ; la plupart du temps, vous lui verrez une expression ennuyée, réticente et bizarre : rien ne le satisfait, il est récalcitrant comme un octogénaire, lunatique comme un chien écorché, pleurnichard comme un mangeur d'oignons (...) Cet homme-là et ses pareils, philosophes, poètes et pédants, n'ont pas de plus grande ennemie que la richesse : elle les fuit comme 100 000 diables, tandis qu'ils font d'elle l'objet de leurs dissections intellectuelles (...) De sorte qu'au service de cette canaille, j'ai tellement faim, tellement faim, que si le besoin me prenait de vomir, je ne pourrais rendre que mon dernier souffle ; si je devais faire caca, je ne pourrais chier que mon âme, comme les pendus.»

G. Bruno,
Extrait de l'antiprologue du "Chancelier" (1582), traduction Yves Hersant. Ed. Belles Lettres, 1993.

« (...) Sachez que l'universel me déplaît, que je hais le vulgaire, que la multitude me contrarie. L'Un, tel est mon amour. L'Un me rend libre dans la sujétion, comblé dans l'épreuve, riche dans la nécessité et vivant dans la mort (...) Et si j'erre, c'est contre mon gré. Quand je parle et quand j'écris, je ne dispute point par amour de la victoire (car j'estime ennemies de Dieu, des plus viles et des plus ignobles, toutes réputation et victoire dénuées de vérité). Mais c'est par amour fervent de la sagesse et de l'observation vraies que je m'épuise, m'inquiète et me tourmente (...)»
 

G. Bruno,
Extrait de L'infini, l'univers et les mondes (1584) (Epître liminaire adressée à l'ambassadeur de France auprès de la reine d'Angleterre). Traduction de B. Levergeois. Ed. Berg International, 1987.

Bertrand Levergeois (biographe) :

« S'il parraît s'égarer, c'est en fin de compte pour mieux servir de guide, et non de pôle de référence, car il ne tient qu'à multiplier les centres, à décentrer sans cesse l'approche philosophique, notamment du côté de la poésie et de la peinture. Ni moderne ni archaïque, Bruno n'est qu'inactuel : avant lui, peut-être Socrate ; après lui Dom Deschamps, Nietzsche et le mariage selon Pessoa de l'art avec la pensée. Intarissablement prodigue, la philosophie s'est insurgée en lui, comme en tous ceux qu'engagent le combat de la vérité contre les pilleurs de liberté et de vie.»
 

B. Levergeois,
Extrait de Giordano Bruno (1995). Éd. Fayard

Jacques Attali (écrivain et journaliste) :

« Philosophe vagabond, courageux fragile, homme de foi et de vérité, Bruno n'était pas dupe du malheur qui le guettait. Il a toujours su qu'il aurait à payer cher pour avoir compris que l'univers ne se résumait pas à une théologie prise au pied de la lettre, pour avoir eu -avec d'autres, mais bien avant ceux à qui on en attribue aujourd'hui la paternité - l'intuition de ce qui est devenu l'épistémologie, la cosmologie, la théorie générale de l'univers, la relativité, la chimie, la génétique ; pour avoir perçu, avant même Pascal, l'importance de la beauté comme source d'accès à la vérité ; pour avoir reconnu à chaque homme tous les droits sur lui-même et aucun droit sur le reste de l'univers.»
 

J. Attali.    

Un point de vue récent du Vatican :
 

« La condamnation pour hérésie de Bruno, indépendamment du jugement qu'on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée.»
Le 3 février 2000, le cardinal Poupard - responsable au Vatican du "pontificam consilium cultura" (qui réhabilita Jan Hus et Galilée) - confirme que Bruno ne sera pas réhabilité tout en déplorant l'usage fait de la force contre lui...

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Giordano Bruno est né à Nola en 1548. Si l'on se souvient de lui comme d'un disciple de Copernic, en parfait esprit de la renaissance, il a touché à tout. Auteur de pièces de théâtre, inventeur de la mnémotechnique, philosophe, il a aussi formulé, dix neuf ans avant Galilée, le principe d'inertie, plus grande découverte de son époque. Si l' héliocentrisme a bouleversé les esprits, il n'a guère eu d'applications pratiques, tandis que le principe d'inertie, moins spectaculaire, ouvrait la porte à toute la science moderne. La raison pour la quelle on l'attribue à Galilée, c'est que ce dernier l'appuya sur des considérations expérimentales. L'ironie, c'est que les expériences de Galilée, on le sait aujourd'hui, étaient "bidon". Leur précision excédait largement les possibilités des instruments dont il disposait.

Mais Bruno fut avant tout un philosophe d'une rare audace. Le monde dans le quel il était né, créé par un Dieu de bonté, abritait la seule planète habitée, immobile bien au centre d'un ciel fini et étroit, simple succursale du paradis, régie déjà par la divine providence. L'univers pour le quel, il est mort, dans le silence éternel d'un espace infini abandonnait à un destin aveugle une infinité de mondes, incréés, sans cesse en mouvement, peuplés d' une infinités de civilisations extraterrestres et d'une infinité d'âmes sans espoir de salut.

Pourquoi ont ils brûlé Bruno et non Galilée? Pourquoi l'église s'est elle excusée, avec cinq siècle de retard, d'avoir intimidé Galilée mais n'a-t-elle jamais regretté d'avoir brûlé Bruno? Derrière une analogie superficielle, leurs cas sont complètement différents. Avant tout, Galilée, comme Copernic sont des savants, on dirait aujourd'hui des scientifiques. Ils ne se préoccupent pas de religion et si leurs découvertes peuvent contredire les convictions des représentants de l'église, ça n'est pas à dessin. Bruno, durant son procès, prétendra être dans le même cas. Mais ce n'est qu'un adroit système de défense. Giordano Bruno n'a jamais été un homme de science. Parmi les thèses qu'on lui reproche, la réincarnation, la non-création du monde et la non virginité de Marie préoccupent certainement beaucoup plus ses accusateurs que les mouvements respectifs de la Terre et du soleil. C'est un prêtre défroqué, anarchiste avant l'heure, dégoutté de la religion et ennemi déclaré du christianisme, à travers le quel il perçoit hypocrisie, exploitation des masses, obscurantisme et persécution. Si ses ennemis finiront par lui donner raison, au moins sur ce dernier point, il y mettra du sien.

Car, c'est la seconde différence avec Galilée et les siens. Ils sont roseaux, il est chêne. Galilée, qui s'était déjà montré plus futé pour soutenir le principe d'inertie, a bien compris que "Et pourtant, elle tourne." est une phrase qui ne se prononce qu'à voix basse. Bruno pendant sept ans, de 1593 jusqu'à la fin que l'on sait, va jouer avec ses tortionnaires un incroyable jeu de chat et de la souris. Il se rétracte... mais pas tout à fait. Il n'a jamais voulu dire que... mais il maintient que... Il abjure tout, mais à condition que le Pape lui donne raison! Un jour, il n'a plus pour sortir qu'à signer une déclaration dont il a négocié chaque virgule et, tout à coup, un doute lui vient sur tel point de détail. Pendant tout ce temps, il est affamé, torturé et on a l'impression que c'est lui qui mène la danse. Il use ses bourreaux, il excède l'Inquisiteur Suprême, le Cardinal de Santaseverina, il tue à la tâche ses tortionnaires.

NEANMOINS, TOUT N'EST PAS CLAIR DANS L'AFFAIRE BRUNO. Au départ, c'est un banal litige entre le philosophe et son logeur, une simple affaire de loyer impayé, en somme. Mais Mocenigo, le propriétaire, qui sait que Bruno a déjà eu affaire aux tribunaux de l'inquisition et qui semble en avoir entendu des vertes et des pas mures sur le Pape, la Vierge et tutti quanti, dans la bouche de son locataire, plutôt que de lui faire un procès le dénonce à l'inquisition vénitienne. Le procès s'ouvre le 26 Mai 1592. Bruno, avec plus d'adresse que de sincérité, plaide la recherche purement scientifique indépendante des questions de foi. Il y ajoute le plus profond repentir, qu'il réussit à jouer sans renier un mot de ce qu'il avait dit. Et il fait un triomphe. C'est tout juste si les juges ne l'embrassent pas. Après chaque procès, l'inquisiteur de Venise envoie à son collègue de Rome un compte rendu. Pure formalité, la justice vénitienne est indépendante. Rome est avisée, pour ainsi dire, par politesse. Le 12 Septembre, la dernière farce de Giordano Bruno prend une tournure macabre. Pour la première et seule fois dans l'Histoire, Rome remet en cause un verdict vénitien, en réclamant l'extradition de l'accusé. Pourquoi?

Qu'est ce qui justifie un tel souci de Rome pour une affaire issue d'une querelle d'épiciers? A l'époque Bruno n'a pas le prestige d'un Galilée, c'est l'église qui va faire sa renommée. Il est accusé d'avoir publié des livres que la censure a laissé passer et tenu en privé des propos dont il se repent bien volontiers. Il n'y a pas de quoi justifier un incident diplomatique. Pourtant, c'est bien devenu une affaire d'état. C'est le Cardinal de Santaseverina qui réclame l'extradition de l'impertinent. Et quand il est débouté, loin de faire machine arrière, Rome oppose à Venise un personnage plus haut placé. Plus haut que l' Inquisiteur Suprême? C'est le Pape qui réclame à présent Bruno. Et il envoie à Venise rien de moins que le nonce apostolique, Ludovico Taverna, en personne. Le 22 décembre, Taverna soutient la requête papale devant le Collège vénitien. L'extradition n'étant pas juridiquement fondée, il ment sur le passé judiciaire de Bruno. Il remporte le bras de fer et le 9 Janvier, une galère emporte Giordano Bruno vers son destin.

A Rome, les bizarreries continuent. Après le zèle dont il a été fait preuve pour récupérer l'ennemi publique, on s'attendrait à une fin expéditive. Le bûcher dans les quinze jours, c'était dans l'ordre du temps. Hé bien non. Il y aura d'abord deux ans de procès. Admettons. Et puis voila que, quand il ne manque plus que le verdict, on oublie complètement le prévenu, pendant encore trois ans. Puis on l'exhorte à abjurer. Et commence cette longue comédie, voir plus haut, où Bruno brûle les planches, dans tous les sens du terme, et dont le dernier acte est donné en publique, le 16 Février de l'an de grâce 1600.

Une dernière chose. La légendaire réplique de Giordano Bruno à ses juges: Vous avez plus peur que moi. n'a pas été lancée du haut du bûcher mais au tribunal. Sur le bûcher, il n'a rien dit du tout. Pour la bonne raison qu'on lui avait coupé la langue. Selon certaines sources ont l'aurait simplement bâillonné. Quoi qu'il en soit, on était bien pressé de le réduire au silence. On justifie cela par les injures qu'il aurait lancé à ses juges. Voila qui est tout de même étrange, alors que l'église, comme plus tard les procureurs staliniens, s'efforçait toujours d'assurer son triomphe par la contrition publique des condamnés bien plus que par leur exécution. Quand on pense aux efforts déployés durant huit ans pour obtenir cette contrition de Bruno !

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nortasuna & askatasuna
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