Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
nortasuna & askatasuna
Archives
28 février 2005

LA DEMOCRATISATION DE LA CULTURE

 

Démocratisation de la culture : la grande illusion par Xavier Eman

Des affiches recouvrent les murs verdâtres des stations de métro et les foules s’empressent de répondre à ces racoleuses invitations en se ruant en rangs serrés dans tous les musées de la capitale : c’est ce qu’on appelle la démocratisation de la culture.

Il paraît même qu’il existe derrière cela une stratégie appelée « politique culturelle » qui organise et gère ces transhumances démocratiques entre le Grand Palais et le Louvre, Orsay et Beaubourg…

Il s’agit là bien évidemment d’un formidable progrès et d’une fabuleuse victoire sur l’obscurantisme élitiste du passé. Il n’y a en effet aucune raison pour que seuls les riches gâchent leurs week-ends et ceux de leur progéniture en se traînant plus ou moins péniblement dans les déambulatoires à néons tamisés de nos fiers musées nationaux.

Car la culture c’est important. On le dit même à la télévision.

Les effets mystificateurs du discours médiatico-égalitaire sont d’une telle puissance et d’une telle efficacité qu’ils ont ainsi réussi à convaincre chaque citoyen que la « culture » consistait à piétiner de longues heures à la porte de la dernière exposition « incontournable » pour ensuite tenter d’apercevoir, entre deux ou trois rangées de têtes agglutinées à deux centimètres des cadres comme si elles cherchaient névrotiquement à découvrir les traces du postiche de la femme à barbe dans une quelconque cabane de foire, quelques bribes de tableaux mitraillés de flashs (pourtant généralement interdits) et doctement commentés par tout ce que la capitale compte de snobinards aux trois-quarts incultes.

Pourtant découvrir un peintre, aborder une œuvre dans de telles conditions n’a pas le moindre intérêt ni le moindre profit esthétique ou intellectuel. Il est rigoureusement impossible de ressentir la moindre émotion artistique, ni même d’entamer une simple démarche éducative au milieu des sonneries de portables, des pleurnicheries des bébés et des hurlements des couples rappelant à l’ordre les pauvres bambins encore trop jeunes pour apprécier la chance d’avoir des parents abonnés à Télérama…

Ainsi de plus en plus de gens voient des tableaux mais de moins en moins connaissent et apprécient la peinture et c’est bien là que se situe le cœur de la grande supercherie de la « massification de la culture » qui n’élève quiconque mais se contente de lancer une scintillante poudre aux yeux de tous les gogos qui, le dimanche soir venu, se féliciteront de s’être arrachés à Télé-foot pour faire plaisir à leur petite femme en passant quelques heures à « faire du culturel » c’est à dire à s’ennuyer, l’ennui étant devenu l’étalon de mesure du degré de « culturalité » de toute chose…

La tromperie est totale. On multiplie une offre dépourvue de toute volonté pédagogique, de toute mise en perspective, de toute préparation et de tout accompagnement. On déverse de la « culture » comme on nourrit les cochons . Les sirènes médiatiques précipitent des tombereaux humains dans les nouveaux supermarchés de l’art pour tous où l’on va les gaver de Goya, de Rembrandt, de Monet, de Canaletto, de Braque… qu’ils seront, à la sortie de leur périple culturel dominical, toujours incapables de simplement placer sur une chronologie historique dont ils ignorent tout.

Par la grâce de l’enseignement « républicain » et « citoyen » on ne sait quasiment plus lire ni écrire mais l’on va passer, sur ordre médiatique, deux heures à faire la queue devant n’importe quelle exposition dont on pourra dire à la sortie, au mieux, « qu’elle était très belle », c’est à dire absolument rien.

Car on ne construit pas sur du vide pas plus qu’on ne bâtit une culture strictement ex nihilo.

Bien sûr il pourrait subsister le simple rapport au beau, la dimension sensitive et sensuelle, mais comme nous l’avons dit plus haut, celle-ci est totalement antinomique de la promiscuité bovine induite par la non-culture de masse.

Il ne reste donc absolument rien si ce n’est une énième agitation pathologique, si caractéristique de la modernité. Un nouvel acte désincarné qui n’a d’autre intérêt que le récit de son accomplissement.
Non content de maintenir la population dans une situation de sous-développement culturel, on lui ment effrontément et systématiquement en faisant la promotion outrancière de ce vernis superficiel et factice que l’on pourrait appeler « l’événementiel artistico-culturel ». Une fois encore notre société virtuelle droguée au « zapping » privilégie le ponctuel et le segmenté sur le permanent et l’enraciné.

Niant l’effort continu que nécessite toute démarche culturelle, la pensée dominante ne cesse de prétendre que l’injection épisodique d’une dose de « spectacle de la culture » peut être autre chose qu’un divertissement sans portée et même compenser l’absence de connaissances structurées, multiples mais organisées, intégrées à une vision du monde faite d’un maillage étroits de valeurs, de repères et de symboles liés les uns aux autres dans un agencement qui ne doit rien au hasard.

Pourtant à quoi peut bien rimer, par exemple, une visite des pierres éparses du Parthénon sans connaissance un peu approfondie de l’antiquité, de la geste athénienne et de son influence sur l’imaginaire et la spiritualité des peuples européens ? Que peut apporter une visite de l’exposition consacrée au peintre réalisto-futuriste Otto Dix sans un savoir un tant soit peu conséquent sur la Première guerre mondiale, les traumatismes qu’elle a engendré et dont le travail de Dix est une tentative d’exorcisme bientôt condamnée par le nazisme au nom du combat contre le prétendu « art dégénéré ».

Une nouvelle fois répétons-le : à rien. Strictement à rien sinon à se donner un semblant de bonne conscience entre deux séances de bronzage à la plage ou deux épisodes de la Star Academy et à participer ainsi à la reproduction d’un système démagogique et totalement hétérotélique.

Xavier Eman

Publicité
Commentaires
nortasuna & askatasuna
Publicité
Publicité